"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 6 novembre 2012

Légalisme d'une gauche sans complexes

A l'exception de quelques-un(e)s, les journalistes de la presse nationale doivent attendre qu'il y soit construit un aéroport pour se rendre à Notre-Dame-des-Landes. On ignore probablement, dans les rédactions parisiennes, qu'il est possible de se rendre dans la région nantaise de toutes les manières possibles, y compris par avion puisque l'agglomération possède déjà les aménagements nécessaires au trafic aérien. Pour le 17 novembre, date fixée pour la manifestation de réoccupation, on ne saurait trop conseiller aux professsionne(le)s de l'information de recourir à la solution, fort économique, du covoiturage. D'autant plus que leurs cartes de presse seraient fort appréciées, brandies en manière de sésame pour franchir quelques barrages...

A peine entrecoupé de dépêches d'agence reproduisant les communiqués préfectoraux, le silence des médias sur la résistance au bétonnage qui se développe à Notre-Dame-des-Landes est en passe de devenir exemplaire de la presse rêvée par les décideurs : aveugle, sourde et muette.

Le Nouvel Observateur a, de toute évidence, pour ambition de devenir pour la gauche décomplexée ce qu'était Le Figaro Magazine pour la droite décomplexée, et l'équipe joffrinesque s'y emploie avec les moyens du bord, qui ne sont pas énormes. On cherchera en vain, dans cette publication, la moindre contribution sur les revendications des zadistes... Là où l'hebdomadaire prétend nous en donner +plus+, on peut lire une chronique vantant « le parler-vrai d'un patron de gauche », signée de l'inénarrable maître des lieux, mais, et cela depuis au moins trois semaines, rien qui ressemble au « parler-vrai » d'un maraîcher installé sur les terres de Notre-Dame-des-Landes... Bien sûr, on remarquera que Rue 89, site désormais associé au Nouvel Observateur, a consacré plusieurs articles au mégalomaniaque projet nantais et aux « insurgés de la lutte anti-aéroport ». C'est méritoire - au sens où cela a le mérite d'exister - mais c'est un peu comme si la rédaction du Monde laissait son associé Télérama traiter des livres ou des films qui dérangent.

Du côté de Libération, on a trouvé quelques crédits pour envoyer spécialement sur place Eliane Patriarca. Elle a livré ses observations en un article que l'on a cru judicieux d'intituler, Notre-Dame-des-Landes : l’adieu aux arbres des opposants à l’aéroport. Ce titre, qui fait usage d'un à-peu-près aussi bêtasse que d'habitude, est fallacieux : si l'on parle, à Notre-Dame-des-Landes, de dire « adieu aux arbres », ce n'est sûrement pas parmi les « opposants à l'aéroport »...

(Parmi les partisans du bétonnage intégral, on ne doit pas en parler beaucoup non plus. En général, ces gens-là ne voient pas les arbres, sauf peut-être bien rangés avec des étiquettes, dans un arboretum sponsorisé par les amis du CAC 40...)

 Forêt de Rohanne, le 31 octobre.
(Photo : Galerie de NDDL.)

Il n'est pas impossible que des scrupules d'équilibre rédactionnel aient conduit notre Libé quotidien à publier ensuite, sous la même signature, un entretien avec monsieur Jacques Auxiette, membre du parti « socialiste » et président des Pays-de-la-Loire.

Le grand ponte du Grand Ouest - il préside le Syndicat aéroportuaire qui « regroupe les 22 collectivités concernées, dont les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire, les départements de Loire-Atlantique, de Vendée, du Maine-et-Loire, les villes de Nantes, Rennes…» -  s'enorgueillit d'avoir été de ceux qui ont su mener à bien ce dossier et imposer ce grand projet inutile. Pour un peu, il dénierait à monsieur Jean-Marc Ayrault, qu'il trouve « scandaleux » de « cibler » - vague allusion aux timides remarques de madame Duflot -, toute initiative dans cette affaire.

Coupant la journaliste dans une question sur « la contestation [qui] se durcit et les affrontements [qui] sont parfois violents », il surprend en disant qu'il « condamne les exactions et violences actuelles ». Mais il éclaire ensuite sa pensée :

(...) je défends l’État lorsqu’il exécute des décisions de justice qui n’ont rien à voir avec les occupants de longue date. Ne confondez pas les riverains et agriculteurs concernés par des expropriations et les professionnels de la guérilla urbaine installés sur le site depuis trois ans !

Il faut donc entendre que « les exactions et violences actuelles » ne sont pas celles des légions de César - nom de code ridicule mais révélateur de l’opération militaro-policière en cours - , mais celles de redoutables « professionnels de la guérilla urbaine »...

Quand il ne s'emploie pas à discréditer ses adversaires par des appellations calomnieuses - des guérilleros urbains dans le bocage ! mais qu'a fait la police ? -, le petit chef républicain des Pays-de-la-Loire tient bon, et à deux mains, la rambarde du juridisme. Il rappelle tout d'abord que « la décision du Conseil d’Etat de juillet a mis fin à tous les recours sur la création de l’aéroport » et que « plus aucune action en justice ne peut remettre en cause la réalisation du projet ». Il en déduit, avec logique, que « seule une décision politique pourrait changer la donne ». Mais son imagination de décideur se refuse à une telle éventualité - pourtant souhaitée par son éminent camarade Stéphane Hessel. Monsieur Jacques Auxiette, lui, parfait légaliste, « appelle à la mise en œuvre des décisions de justice ». Point barre, comme on disait encore il y a peu...

On l'a compris, le saccage imbécile d'une région, les violences exercées sur les personnes, la destruction de ce qu'elles ont construit, la dévastation de ce qu'elles ont mis en culture, ne sont pour lui que la conséquence de l'application de la loi - ou la Loi, je ne sais pas si ce monsieur pense en majuscules - qui a décidé qu'on ne devait plus vivre, construire, cultiver dans les parages de Notre-Dame-des-Landes.

Pour perdre ses complexes, inhibitions qu'aurait installées un vieux surmoi humaniste, la gauche au pouvoir semble avoir besoin de s'abriter derrière le paravent des décisions juridiques qu'il faut impérativement mettre en œuvre. Le légalisme lui est ainsi devenu comme un refuge, un peu étroit, certes, mais où s'épanouissent bonne conscience et mauvaise foi. On prendra confortablement prétexte de décisions de justice pour légitimer toutes les indignités commises, sans états d'âme, comme on aime à dire...

Dernier exemple en date : on livre la militante basque Aurore Martin à la police espagnole. A celles et ceux, y compris des élu(e)s « socialistes », qui dénoncent cette ignominie, monsieur Manuel Valls et madame Christiane Taubira expliquent, en un numéro de duettistes parfaitement accordé, que c'est là le cours normal de la justice.

Et en une dernière pirouette légaliste, le ministre de l'Intérieur « juge en revanche "étrange" que des élus de la République française, "notamment des parlementaires qui votent les lois, demandent que l'on n'applique pas la loi" ».

Comme c'est le Nouvel Observateur qui le dit, c'est une info en béton.


PS : Toutes les informations qui ne sont pas dans les médias de gauche se trouvent sur le site des Tritons crété-e-s contre béton armé. On y trouvera même une belle Lettre ouverte à Monsieur Jacques Auxiette, répondant à ses déclarations dans Presse Océan du 31 octobre.


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