"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 27 novembre 2012

Douceur matinale de l'État « socialiste »

Amoureux de tous les bocages, et tout particulièrement de ceux de la région nantaise, je me suis habitué à consulter, presque chaque matin, le site du quotidien Ouest-France.

Voilà pourquoi la dernière grosse colère de monsieur Gilles Bourdouleix, député-maire de Cholet, ne m'a pas échappée.

Monsieur Gilles Bourdouleix, président du CNIP - Centre national des indépendants et paysans - ne doit pas posséder de compte pour touitter, car il ne jouit pas encore de la renommée médiatique qui devrait, en bonne logique, revenir à son tempérament impétueux.

Au tout début du mois d'octobre, après une vive discussion avec des gens du voyage occupant un peu plus qu'un mouchoir de poche sur le territoire de sa bonne ville de Cholet, monsieur Bourdouleix, avocat au barreau de Paris, avait déposé trois plaintes. La première « contre X pour tentative de meurtres », la seconde et « contre Monsieur Valls, ministre de l'intérieur, pour mise en danger de la vie d'autrui en raison du peu d'effectifs de police », et la dernière « contre le Préfet du Maine-et-Loire pour mise en danger de la vie d'autrui pour avoir fait partir les renforts de police ». Je n'ai pas trouvé trace de la réaction de X, et encore moins de celle de monsieur Manuel Valls, mais on peut encore lire celle de la préfecture incriminée :

Le Préfet du Maine-et-Loire dans un communiqué à la presse explique que Gilles Bourdouleix dimanche : "s'est opposé de manière inappropriée à l'entrée des gens du voyage sur l'aire de grand passage qui leur est réservée" et juge que "la responsabilité municipale requiert plus de mesure et de finesse que d'agitation et de bruit".

Et ce matin, donc, Ouest France m'apprit - et en exclusivité, car je suis un lecteur fidèle - que la soupe au lait de monsieur Bourdouleix avait encore débordé :

Nouvelle friction entre le maire de Cholet et les gens du voyage. Ce dimanche matin, 24 caravanes se sont installées zone de l’Ecuyère, derrière Décathlon et Jeanneau. Le groupe arrivait d’Angers, où il a passé deux semaines près du centre commercial Atoll.

Le maire de Cholet n’a pas apprécié ce qu’il qualifie de nouvelle « invasion de gens du voyage ». « Et lorsque je demande que la loi soit appliquée et qu’on évacue ces gens-là, on me répond que ce n’est pas possible », poursuit Gilles Bourdouleix, qui explique vouloir assurer la sécurité des Choletais.

(Ici, Ouest-France place un petit morceau sonore où les Choletais pourront retrouver la voix de leur maire préféré.)

« C’est le principe de l’État socialiste avec un représentant dans le département qui n’a aucun courage, je l’ai déjà dit. Dans ces conditions, je ne vois pas comment je pourrais continuer à exercer mes fonctions de maire et je cesse à cet instant de les exercer. »

Interrogé pour savoir s’il allait envoyer sa lettre de démission, le maire a seulement répondu : « La situation est claire pour moi », sans confirmer. Depuis sa première élection à la mairie en 1995, Gilles Bourdouleix a plusieurs fois brandi la menace de démissionner, le faisant même en 1997.

Il peut le faire, anéfé...

Des renforts de police, ce matin...
(Mais c'était à Pacé, près de Rennes.)
(Photo : Philippe Chérel - Ouest-France.)

On se demande comment peut bien se débrouiller ce pauvre monsieur Bourdouleix, car l'« État "socialiste" » ne manque pas de gendarmes et/ou policiers pour venir en aide aux plus démunis des décideurs face aux diverses « invasions » qui menacent leurs biens. Il suffit pour cela de garder son calme, de déposer la demande et d'attendre que tous les recours soient épuisés. Alors, on peut expulser en toute sérénité.

C'est bien ce qui s'est passé, ce matin, pour les occupants de ce que la presse nomme « le squat de Pacé », où les forces du droit ont débarqué bien avant l'aube, avec bien sûr la discrétion qu'on leur connaît, pour procéder à l'évacuation des lieux...

Les enfants étaient contents : aujourd'hui, pas d'école.
On part en vacances.
(Photo : Karen Faurie - Ouest-France.)

Ce squat s'était établi au printemps, avec le soutien de l'association Droit au Logement, dans une ancienne maison de retraite, la résidence du Parc, située non loin de Rennes. On nous décrivait, à l'époque, « un grand bâtiment de 2 300 mètres carrés inoccupé depuis plus d’un an » où des « migrants » d'origines diverses  -  « des Tchétchènes, des Roumains, des Géorgiens, des Irakiens, des Africains, des Mongols… » - pouvaient « enfin vivre un peu plus dignement ».

C'est probablement sans aucune malice que la société propriétaire des lieux, la SA HLM les Foyers, envisage de reconvertir cette bâtisse en Cada - Centre d’accueil de demandeurs d’asile -, et c'est sans malignité aucune qu'elle a dû  déposer un recours en expulsion devant le tribunal d’instance de Rennes, qui avait donné un délai de quatre mois - soit jusqu'au 15 novembre. Après constat d'huissier de l’occupation effective des lieux, le concours des forces de l’ordre a pu être sollicité.

Il fut accordé, comme on a pu l'apprendre.

Les forces de l’ordre sont arrivées sur place à 4 h 15, et l’accès au site a été bloqué. À 5 h, plusieurs dizaines de gendarmes ont entouré la maison.

Vers 6 h, des renforts sont arrivés sur place afin de procéder à l’expulsion.

La presse a bien sûr fait savoir que tout cela s'était déroulé en toute légalité et en douceur :

La préfecture d'Ille-et-Vilaine assure qu'elle ne laissera personne à la rue. Il sera donné aux migrants évacués un ticket de bus pour rejoindre la préfecture où ils seront orientés vers l'un des 200 logements recensés.

Me voilà rassuré...

Car je sais que l'« État "socialiste" » ne laisserait personne à la rue quand il commence à faire un peu frisquet sur le coup de 4 h 15 du matin...


PS : Communiqué du DAL

Encore une fois, à moins de 4 semaines de l’entrée en vigueur de la trêve hivernale des expulsion, acquise en  l’Abbé Pierre,  les autorités expulsent depuis ce matin les migrants d’un immeuble réquisitionné à Pacé dans la banlieue de Rennes.

Entre 100 et 200 personnes dont de nombreux enfants en bas âge, en situation régulière, demandeurs d’asile pour la plus grande part, habitaient cette ancienne clinique, réquisitionnée par le DAL Rennes, depuis mai dernier, pour répondre à la grave carence de l’État concernant ses obligations en matière d’hébergement des demandeurs d’asile et des sans abris.

Aucune réelle urgence ne vient justifier cette expulsion autrement que la précipitation des autorités locales à exécuter un jugement d’expulsion devenu exécutoire depuis une semaine, et qui d’ailleurs ne supprime pas le bénéfice de la trêve hivernale.

La clinique était vacante depuis plusieurs années, et si un projet à caractère social avait vu le jour, grâce à la réquisition aucun travaux n’étaient prévus avant plusieurs mois.

Pour la première fois depuis que la trêve hivernale existe, et depuis ce 1er novembre, plusieurs expulsions ont été exécutées. Le Gouvernement aurait-il décidé de s’en prendre à cette mesure protectrice de bon sens, notamment à Rennes ?

Préférant recourir à la mobilisation de nombreuses forces de police, à la location d’hôtels coûteux et précaires pour héberger les expulsés quelques jours,les autorités ont choisi la force pour écraser les plus fragiles.

Nous dénonçons ces expulsions qui traduisent une conception profondément autoritaire et brutale vis à vis des plus fragiles, tandis que le ministère du logement tarde à réquisitionner et tenir ses engagements.
Droit au logement exige le relogement durable et stable de tout les expulsés, et demande au Gouvernement et particulièrement à la Ministre du Logement :

  • de faire cesser le viol de la trêve hivernale des expulsions, que jusqu’alors, aucun gouvernement n’avait osé remettre en cause
  • de faire respecter les lois : le Droit à l’hébergement de toute personnes sans abris, le Droit au logement opposable
  • de réquisitionner massivement les immeubles et logements vacants, comme elle s’y est engagée.






lundi 26 novembre 2012

Le dialogue qui rend sourd

Depuis longtemps, la France peut se vanter d'avoir la droite la plus bête du monde. Cette prétention bien légitime se trouve confirmée chaque jour par le récit en continu des aventures drôlatiques des célèbres duettistes Copé et Fillon. Le scénario de cette série est habilement ficelé, en constant renouvellement, et filmé tambour battant. Chacun peut y choisir sa séquence culte pour rigolade in petto, car les trouvailles burlesques y abondent : pour ma part, j'ai beaucoup aimé la très discrète mais très efficace entrée en scène de monsieur Laurent Joffrin, avec son éditorial intitulé UMP : revotez ! Le « journaliste le plus bête de France » se posant en donneur de conseils à la droite la plus bête du monde, cela constitue une sorte de sommet de la bouffonnerie qu'il sera bien difficile de dépasser.

La gauche française n'a pas la réputation d'être très intelligente, mais elle semble avoir une autre ambition : celle de devenir la gauche la plus cynique du monde.

En cela, on ne peut que l'encourager. Puisqu'en général c'est la droite qui verse dans le cynisme et la gauche qui se complait dans la bêtise, l'affirmation de cette particularité ne pourra que renforcer la position exceptionnelle de notre pays dans le concert des nations.

Alors que la bêtise de la droite se répand à jet continu, le cynisme de gauche n'apparaît que de manière fragmentaire et pointilliste. Il faut bien sûr y voir la preuve d'une grande modernité de la part des élites « socialistes » et de celles qui collaborent avec elles au sein du gouvernement.

Après avoir, sur le secteur de Notre-Dame des Landes, mis les forces de gendarmerie au service d'une société privée experte en bétonnages divers, et ainsi permis la « déconstruction » d'une quinzaine de bâtiments, la gauche française, en la personne du premier ministre, monsieur Jean-Marc Ayrault, vient d'annoncer, samedi, la création d'une « Commission du dialogue », présentée par lui comme « un premier pas vers l’apaisement ». Les médias, qui semblent ignorer que monsieur Ayrault a beaucoup d'humour, se sont, bien sûr, empressés de comprendre que la porte était ouverte pour des négociations...

Exemple de dialogue en train de tourner court.
(Photo, sans truquage, d'origine zadiste.)

Le matin même, et alors que la résistance au projet d'aéroport recevait d'un peu partout des renforts solidaires pour faire face aux violences des forces de la loi, pas moins de trois ministres - monsieur Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, madame Delphine Batho, ministre de l'Ecologie et monsieur Frédéric Cuvillier, ministre du Transport - avaient, dans un communiqué commun, « confirmé la nécessité de poursuivre le projet de Notre-Dame-des-Landes, tout en annonçant le renforcement des procédures "en faveur du respect de la biodiversité et de la préservation des terres agricoles" ». Même si l'on précisait qu'« il n'y aura[it] pas de défrichement à Notre-Dame-Des-Landes avant 6 mois », cette information donnait une indication précieuse sur le type de « dialogue » envisagé par monsieur Ayrault.

Aux opposants qui dirent aussitôt n'envisager aucun dialogue sans un « retrait total des forces de police », qui occupent et saccagent la zone depuis plus d'un mois, monsieur Manuel Valls répondit par cet aphorisme martial :

Il n’y a jamais de conditions au dialogue.

(Et il semble bien, en effet, qu'accepter un « dialogue » sans conditions ait quelque chose à voir avec certaines redditions.)

Généralement plus diserte, madame Najat Vallaud-Belkacem précisa justement les conditions de ce « dialogue » sans conditions :

Il ne s’agit aucunement de revenir sur le projet d’aéroport, il n’y a pas de reculade.

En revanche, il est pris acte qu’il y a des divergences d’interprétation sur l’impact de ce projet sur l’environnement et pour lever ces divergences, cette commission du dialogue servira à exposer à toutes les parties prenantes la réalité des travaux réalisés, de leur impact sur la biodiversité.

Il s’agira d’une commission d’informations partagées qui permettra au dialogue de se renouer dans de bonnes conditions.

Il semble bien, à lire attentivement ces explications, que la  « Commission du dialogue » aurait pu aussi s'appeler « Commission de propagande pro-aéroport » et être confiée à quelques publicitaires de gauche.

Ils savent trouver le cœur de la cible.
(Photo prise au début de l'invasion de la Zad.)

Bien que les médias dominants du marché se contentent de reprendre les décomptes des personnes qui ont été, par les préfectures, reconnues comme blessées, la manière dont sont menés les préliminaires du « dialogue », au sens de monsieur Ayrault, finit par être connue. Certes, monsieur Valls salue bien bas et vante bien haut le « sang-froid » des forces de répression,  mais les récits des brutalités exercées par elles dans la forêt de Rohanne se multiplient. On trouvera un de ces témoignages, concernant la journée qui restera probablement dans l'Histoire comme la journée d'ouverture du « dialogue », repris dans le Jura Libertaire. En cherchant un peu, on en trouvera d'autres...

Ailleurs, le très recommandable JL reproduit ce communiqué de l'équipe médicale de Notre-Dame des Landes :

Communiqué de l’équipe médic,  24 novembre 2012

Depuis des semaines d’occupation et de harcèlement policier et militaire, alors que nous continuons à défendre la zone du bétonnage programmé, nous avons atteint aujourd’hui, samedi 24 novembre, un pic de violence avec une centaine de blessé.e.s, dont une trentaine graves pris en charge à l’infirmerie de l’équipe medic établie à la Vache rit, l’une des nombreuses équipes de soins sur la zone.

On dénombre une vingtaine de personnes touchées par des éclats de grenades assourdissantes, aux jambes, aux bras, à la lèvre, au bas ventre. Ces bouts métalliques ou plastiques entrent dans les chairs, on peut rarement les extraire, et ils restent souvent à vie.

Les grenades assourdissantes sont censées être utilisées selon un protocole précis : notamment en cas d’encerclement des forces de l’ordre, et en direction du ciel, ce qui n’était clairement pas le cas aujourd’hui. Les gendarmes mobiles les utilisent de façon à ce qu’elles explosent à côté ou sur les manifestants, provoquant des blessures graves.

Une personne a été touchée au bas ventre par un éclat d’une de ces grenades offensives, provoquant un gros hématome et des lésions internes. On constate chez deux personnes 10 impacts chacune dans les jambes. Une personne risque de perdre son œil droit. On constate également une plaie au tympan due à un tir de grenade, provoquant une surdité brutale. Suite à des tirs tendus de flashball, on dénombre quatre blessures au thorax, avec fractures de côtes et état de choc, de multiples blessures aux jambes et aux mains, une blessure hémorragique au visage. Et de nombreux.ses autres blessé.e.s.

Il était difficile d’évacuer les blessé.e.s les plus graves par ambulance ou par véhicule particulier suite aux différents barrages de police. Ces scènes de défilé ininterrompu de blessé.e.s du matin au soir ravive dans nos mémoires le souvenir de l’action de masse contre les pylônes THT (Très Haute Tension) dans la Manche le 24 juin 2012 pendant laquelle les forces de l’ordre ont fait l’usage démesuré des mêmes armes, faisant plus d’une vingtaine de blessé.e.s en une heure.

L’habituelle stratégie de frapper fort celles et ceux qui résistent à leurs plans de destructions ne semble pas fonctionner ici à Notre-Dame-des-Landes. La force et la détermination est bien vive sur les visages. Nous ne lâcherons rien.

Avec des interlocuteurs ainsi assourdis, le « dialogue », au sens de monsieur Ayrault, ne peut être qu'apaisé...

Mais il ne faudrait pas trop oublier que les sourds parlent fort. De plus en plus fort...

Vous les entendez ?

samedi 24 novembre 2012

Déconstruire, disent-ils

Il faut entendre ce terme de « déconstruction » non pas au sens de dissoudre ou de détruire, mais d’analyser les structures sédimentées qui forment l’élément discursif, la discursivité philosophique dans lequel nous pensons. Cela passe par la langue, par la culture occidentale, par l’ensemble de ce qui définit notre appartenance à cette histoire de la philosophie.

Le mot « déconstruction » existait déjà en français, mais son usage était très rare. Il m’a servi d’abord à traduire des mots, l’un venant de Heidegger, qui parlait de « destruction », l’autre venant de Freud, qui parlait de « dissociation ». Mais très vite, naturellement, j’ai essayé de marquer en quoi, sous le même mot, ce que j’appelais déconstruction n’était pas simplement heideggérien ni freudien. J’ai consacré pas mal de travaux à marquer à la fois une certaine dette à l’égard de Freud, de Heidegger, et une certaine inflexion de ce que j’ai appelé déconstruction.

Jacques Derrida, entretien inédit avec R.-P. Droit du 30 juin 1992,
publié par Le Monde le 12 octobre 2004.



On ne chôme pas du dictionnaire des synonymes, au ministère de l'Intérieur. Après l'heureuse découverte de « démantèlement », utilisé pour désigner les plus ignobles expulsions de « campements illégaux », est peut-être venue l'heure de gloire médiatique du mot « déconstruction », dans un sens assez éloigné de celui que lui donnait Jacques Derrida.

 Il a été employé ce matin par monsieur Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur, présent sur place, pour annoncer la finalité de l'opération matinale de 500  gendarmes mobiles - chiffres de la préfecture - dans le secteur de Notre-Dame des Landes :

L'objectif est de permettre à Aéroport du Grand-Ouest de prendre ou reprendre possession des lieux et d'engager immédiatement des travaux de déconstruction des squats, partout où cela sera légalement possible.

La ferme du Rosier, en cours de « déconstruction ».
(Photo : Alexandra Turcat.)

En fait de philosophie, celle du gouvernement se réduit à la profération incantatoire d'un de ces principes qui constituent le degré zéro - absolu - de la pensée :

Force doit revenir à la loi.

Cette maxime bornée a encore été martelée hier par le ministre de l'Intérieur, effectuant une visite à Lorient, en doublette symbolique avec le ministre de la Défense...

Je n'ai pas regardé si monsieur Manuel Valls avait parlé de « déconstruction ».

Peut-être a-t-il pensé qu'il avait trouvé mieux pour se faire remarquer des médias :

Il est hors de question de laisser un kyste s'organiser, nous mettrons tout en œuvre pour que la loi soit respectée (...) pour que les travaux puissent avoir lieu.

Aurait-il, selon Libération, déclaré, très en verve...

Il faudrait vérifier, mais il me semble qu'un « kyste » qui aurait la possibilité de « s'organiser » pourrait bien, malignement, ressembler à une tumeur.

Peut-être n'y a-t-il pas de dictionnaire médical au ministère de l'Intérieur...

Il est aussi possible que monsieur Manuel Valls réserve ce terme pour sa prochaine surenchère...


PS : Sur le terrain, la « déconstruction » se poursuit, et force reste à la force.

jeudi 22 novembre 2012

Concession perpétuelle

Grand classique de l'antienne guerrière, La Prière du para se chante, avec une virile gravité, sur l’air de la Marche de la garde consulaire à Marengo. La tradition en attribue les paroles à l'aspirant André Zirnheld, professeur de philosophie et parachutiste français libre, membre du Special Air Service, tué au combat, en Libye, le 27 juillet 1942. Après sa mort, on avait trouvé dans ses affaires personnelles un carnet, où il notait réflexions et citations. Un  seul poème y figure, aux pages 17 et 18, intitulé simplement Prière. Il est daté d'avril 1938 ; son auteur était alors enseignant de philosophie en Tunisie, et son inspiration était, semble-t-il, plus mystique que militaire :

          Prière

Je m'adresse à vous, mon Dieu,
Car vous seul donnez
Ce que l'on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi mon Dieu ce qui vous reste
Donnez-moi ce que l'on ne vous demande jamais

(...)

L'adaptation actuellement connue comme chant de l'E.M.I.A. - École militaire interarmes - est due à l’élève-officier Bernachot, de la promotion 1961-1962, qui a notablement modifié le texte, prenant au pied de la lettre ce qui, dans le poème de 1938, relevait plus probablement de la métaphore :

Mon Dieu, mon Dieu, donne moi la tourmente
Donne moi la souffrance
Donne moi l'ardeur au combat

Mon Dieu, mon Dieu, donne moi la tourmente
Donne moi la souffrance
Et puis la gloire au combat

(...)

Cette « gloire au combat », le jeune philosophe ne la demandait pas...
 
Le début de la Prière sur le carnet d'André Zirnheld.

Mardi matin, quelques mesures de La Prière du para ont été utilisées comme ponctuation musicale afin de dramatiser quelque peu le Zoom de la rédaction, présenté par Simon Tivolle, durant l'émission matinale de France Inter. On prétendait y rendre compte de la polémique soulevée par la décision prise de transférer en grande pompe républicaine les cendres du général Marcel Bigeard au Mémorial des guerres en Indochine, à Fréjus.

Et ainsi fut fait, en équilibrant au pèse-lettre les diverses interventions...

On put entendre madame Anne-Marie Quenette, qui préside la Fondation Général-Bigeard, « amie de la famille » mais aussi son conseil juridique, se désoler avec une éloquence assez convenue :

C'est une saga incroyable, une saga humiliante, une saga lamentable... Que le général ait attendu deux ans et demi pour qu'on lui trouve une demeure éternelle, c'est quand même difficile à concevoir et à admettre.

Bien sûr, quelques extraits d'archives permirent de réentendre la jactance du général, suggérant qu'à Ðiện Biên Phủ, si on l'avait laissé faire, « on aurait pu les casser »...

Le contrepoint fut assuré par une intervention d'Henri Pouillot, l'un des premiers signataires de la pétition Non à tout hommage officiel au général Bigeard.

(Henri Pouillot, ancien appelé, a été affecté, de juin 1961 à mars 1962, à la Villa Sésini, lieu d'internement et de torture des membres présumés du Front de libération national, à Alger. Il a publié son témoignage dans deux livres : La Villa Susini, Tortures en Algérie, un appelé parle, Tirésias, 2001, et Mon combat contre la torture, éditions Bouchène, collection Escales, 2004.)

Il parla de la technique dite des « crevettes Bigeard », résumant ce que l'on pouvait lire sur son blog, dans un billet du 18 novembre :

La technique des "Crevettes Bigeard" ? Elles resteront la sinistre image de cette époque qui perpétuera ce nom. Pour beaucoup, ce terme employé alors ne signifie rien, surtout qu'il ne figure dans aucun livre d'histoire de notre enseignement. Pourtant c'est en employant cette expression que Paul Teitgein interrogeait Massu, en 1957, sur les milliers de disparus pour lesquels il n'avait aucun rapport concernant leur "évaporation". Pour éliminer physiquement, en faisant disparaître les corps, Bigeard avait inventé cette technique : sceller les pieds du condamné (sans jugement, sinon le sien), vivant, dans un bloc de béton et le larguer de 200 ou 300 mètres d'altitude d'un avion ou d'un hélicoptère en pleine mer. Il avait perfectionné cette technique : au début les algériens étaient simplement largués dans les massifs montagneux, mais leurs corps étaient retrouvés. La seconde étape fut le largage en mer, mais quelques un sont parvenus à revenir à la nage sur la côte et échapper miraculeusement à la mort. C'est pourquoi il "fignola" le raffinement de sa cruauté en inventant le bloc de ciment.

Tableau de Jacques Pajak, de la série Les Torturés.
(Illustration d'un entretien avec Frédéric Pajak (*),
Revue Transfuge, n°62, Novembre 2012.)

On n'entendit pas le point de vue de monsieur Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Ayant pris la décision d'accorder au général Bigeard une concession perpétuelle en forme de stèle au Mémorial des guerres en Indochine, il ne pouvait, il est vrai, intervenir qu'à l'écart de toute polémique. Il tentait de le faire, ce matin-là, dans le numéro du jour de Var Matin, où, « dans un souci d'apaisement », il répondait à quelques questions...

Si j'ai décidé de suivre les souhaits de la famille, c'est aussi parce que l'accent est mis sur une période incontestée du parcours du général Bigeard.

Dit-il.

Qu'on le veuille ou non, le général Bigeard est une figure emblématique de notre histoire militaire. Il était aimé et respecté de ses hommes. Il s'est particulièrement illustré comme résistant et comme soldat en Indochine.

Ajoute-t-il.

Mais en faisant ce geste, je ne cherche nullement à masquer ce qui s'est passé en Algérie.

Glisse-t-il.

Je constate que l'armée elle-même ne se voile pas la face sur ce sujet difficile. Une exposition récente au musée de l'Armée sur la guerre d'Algérie dans toutes ses dimensions, y compris les plus sombres, a d'ailleurs été unanimement saluée cette année.

Conclue-t-il.

Dans le discours prononcé à Fréjus - que Jean-Dominique Merchet s'est empressé de mettre en ligne -, il ne sera pas question de ce « sujet difficile » : à peine y relève-t-on une allusion aux « djebels algériens », car « on ne peut citer tous les combats de Marcel Bigeard ». Reprenant, en grande partie, le texte déjà publié pour annoncer sa présence à cette cérémonie, le ministre de la Défense fait l'éloge du héros de Ðiện Biên Phủ et de la guerre d'Indochine,

ce conflit colonial (qui) fut un jour notre guerre.

(Oubliant d'ajouter qu'il fut aussi la matrice du conflit colonial suivant, la guerre d'Algérie, et cela « dans toutes ses dimensions, y compris les plus sombres »...)

Cette concession à la nostalgie de nos belles colonies, et des belles guerres qui vont avec, fut suivie par un discours de monsieur Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République, membre de l'Académie française et président d'honneur de la Fondation Général-Bigeard. A ma connaissance, son texte n'a pas été mis en ligne, et l'on ne dispose que d'un résumé publié par Le Républicain Lorrain pour apprécier toute la grandiloquence académique de cette « voix d’un peuple qui rend à Bigeard les honneurs qui lui sont dus ». C'est regrettable, et il faudra se contenter de cet aphorisme poétique, assez généralement repris dans la presse :

Les vieux soldats ne meurent jamais, ils s’effacent à l’horizon.

Au coucher du soleil, c'est bien, 
et s'ils nous dégageaient l'horizon,
ce serait encore mieux...


(*) Dans le numéro 62 de Transfuge, Frédéric Pajak commente ainsi ce tableau de son père :

Cette toile appartient à une série peinte par mon père, qui s'appelle Les Torturés, l'une des rares représentations de la guerre d'Algérie dans la peinture. Il devait partir en Algérie, et il était résolu à déserter, mais la naissance de ma petite sœur lui a permis d'échapper à cette guerre. Cette peinture est d'actualité, il l'a déclinée sur plusieurs tableaux, avec les couleurs du drapeau français. Il y a là une touche expressionniste que je trouve très belle. Mon père venait de l'abstraction lyrique : ses premières peintures sont assez proches de Wols, et il y a aussi des choses à la Pollock, même s'il garde toute sa singularité. A la fin de sa vie, il n'avait que 35 ans, sa peinture est devenue figurative. Je l'ai peu connu, mais ma sœur et moi avons peint avec lui dans son atelier. Il avait acheté au Prisunic des ardoises d'écoliers et nous faisions des dessins sur lesquels il revenait à la peinture, de vraies œuvres à six mains ! Cela m'a beaucoup marqué.

mardi 20 novembre 2012

La savonnette miraculeuse

Bien que j'aie l'esprit beaucoup mieux tourné que la taille, il m'arrive de déceler de fines allusions, un peu lestes mais - comme il se doit - bien troussées, dans certains propos plus graves que graveleux...

Je suis ainsi resté un moment rêveur et ravi devant le réel bonheur d'expression de ce titre, rencontré dans le très sérieux Figaro et placé sous la bannière « Économie >  Patrimoine et Immobilier > Consommation » :

Le savon à l'eau de Lourdes irrite les sanctuaires


De nature assez peu imaginative, je n'aurais jamais songé à nommer de cette manière les fort délicates parties anatomiques qui me semblent suggérées par ce terme élégant de « sanctuaires ». Pour apprécier le raffinement d'un tel vocable, il suffit de le substituer à quelques autres, dans des expressions courantes et/ou passablement vulgaires. Je ne signalerai qu'un seul exemple, pour ne pas trop m'éloigner du titre figaresque : aux manifestants contre le mariage pour tous, et à leur service d'ordre, on peut, certes, envoyer dire qu'ils nous « cassent les couilles », mais on pourrait aussi  rétorquer, beaucoup plus classieusement, qu'ils nous « irritent les sanctuaires »...

Hélas ! Isabelle de Foucaud, qui signe cet articulet, n'a guère l'intention de réenchanter le dictionnaire... Dans son papier, qui frôle le publireportage bénévole, « les Sanctuaires » s'écrivent avec une majestueuse majuscule et l'on désigne par là l’instance plus ou moins ecclésiastique qui assure l'administration de la vaste entreprise de bondieuseries diverses qui s'est développée autour de la ville de Lourdes. Un site présente avec tact l'ensemble de ces activités de gestion de la dévotion populaire et permet aux fidèles de grenouiller à distance dans le bénitier. Ils peuvent envoyer par courriel leurs intentions de prière, obtenir de faire brûler des cierges en divers lieux sanctifiés et, bien sûr, faire un don en ligne. Ils peuvent aussi joindre le service des expéditions à domicile d'eau de Lourdes :

Recevoir de l'eau de Lourdes chez soi : c'est possible 

Dans les Sanctuaires, le service d’expédition d’eau de Lourdes est le seul habilité à envoyer l’eau par correspondance. Seuls les frais de port sont à la charge du demandeur. L’eau de la source de la Grotte des Apparitions est bien sûr disponible gratuitement, sur place, aux fontaines (robinets) qui sont situées près des bacs à cierges.

On peut remarquer que ce service est postalement, et peut-être suggestivement, domicilié au « Bureau des dons »...

L'article d'Isabelle de Foucaud raconte que l'administration des « Sanctuaires » s'est récemment inquiétée d'apprendre, à la lecture du supplément Next du quotidien Libération, qu'un entrepreneur local commercialisait une gamme de produits cosmétiques fabriqués en utilisant l'eau de la source réputée miraculeuse de la grotte de Massabielle. La dignité des « Sanctuaires » s'en est trouvée toute chiffonnée et un avertissement a été envoyé au site de cette petite entreprise pour lui donner « l'ordre de retirer les images et textes appartenant au site officiel des administrateurs de la cité mariale ». Ces derniers, irrités mais charitables, n'ont pas jugé bon d'engager de poursuites judiciaires.

Mis en lumière sur fond de grotte aux apparitions,
un pain de savon à l'eau miraculeuse.
(Photo : Crème de Lourdes ®)

Une visite à l'adresse indiquée par Le Figaro s'imposait.

On trouve, en ouverture de la page d'accueil, quelques notes argumentaires au lyrisme étriqué :

L'eau de Lourdes : eau divine, eau de jouvence à la disposition gratuite de tous les visiteurs de Lourdes en quête de bonheur et de quiétude. Le ruissellement de l'eau de Lourdes jaillissant des entrailles de la terre, bonifié par l'énergie de la roche de la grotte de Massabielle, fait le bonheur de millions de chrétiens à la recherche de l'équilibre de l'esprit et du corps.

Les choses se précisent ensuite :

La Crème de Lourdes ® est un concept cosmétique à base de cette eau de source de la grotte de Lourdes dont les vertus thérapeutiques essentiellement d'essence religieuse : 
  • ont participé, à plusieurs reprises, à des évènements miraculeux non encore expliqués par la science : 68 miracles authentifiés à ce jour
  • ont la propriété de pouvoir aider à apaiser l'âme aussi bien que le corps.
(J'ai pris la liberté d'ajouter le « ® » que le concepteur du site avait manifestement oublié à cet endroit - il en fait pourtant grand usage par ailleurs.)

Et, avant de passer à l'exploration de cette gamme miraculeuse, on excusera quelques vantardises publicitaires :

C'est ainsi qu'en 2009, une équipe de développeurs a créé et met à votre disposition des produits de cosmétologie, d'hygiène du corps et de soins à l'eau de Lourdes : la Crème de Lourdes ®. Aujourd'hui, cette marque de cosmétiques est devenu le leader européen de sa gamme. Le Savon de Lourdes ®, qu'il soit en pain, solide ou liquide, bonifie la peau et les mains... Il reste un souvenir incontournable de tous les chrétiens en pèlerinage à Lourdes.

A l'instar des pèlerins de Lourdes en provenance du monde entier, les produits Crème de Lourdes ® s'exportent sur les 5 continents. Cette crème permet de disposer, chez soi, de la joie et de l'espérance à chaque lavage.

Car il faut bien reconnaître qu'il faut accorder l'indulgence plénière à qui vous promet ainsi, en toute candeur, de pouvoir « disposer, chez soi, de la joie et de l'espérance à chaque lavage »...

(Personnellement, j'en ai longtemps rêvé.)

Parmi les produits proposés, celles et ceux qui seraient épisodiquement sujet(te)s à ces fâcheuses irritations des sanctuaires, que l'on sait pouvoir provoquer bien des désagréments lors de relations spirituelles approfondies entre personnes sentimentales, pourront (re)trouver de l'espoir avec 

Le Toilette intime Crème de Lourdes ®, composé à partir de l'eau de source de la grotte de Lourdes, reconnu pour son activité psychosomatique et spirituelle (...)

qui, lui aussi, « est une véritable source de bienfaits pour le corps et l'âme ».

Mais, bizarrement, la liste des composants

Pâte à savon bio 100% végétale à l'huile de palme* et de palmiste, miels
Des bois et des rivières* (4%), Elixir de la ruche *Sueur du ciel*. 100% du total des ingrédients sont
d'origine naturelle dont 84% issus de l'agriculture biologique.


ne fait pas apparaître d'eau de la grotte de Massabielle...

Bien d'autres produits à découvrir...

Si j'en crois les vagues souvenirs que j'ai gardés des cours de chimie que j'ai tenté de suivre, l'eau n'est pas vraiment l'élément le plus important dans la fabrication d'un savon...

Dans le cas de ces produits au parfum de sainteté, cela semble confirmé par les indications données par la dépêche que l'AFP a consacrée à cette petite affaire.

On peut y découvrir que monsieur Denis D., « qui se présente comme l'inventeur de "Crème de Lourdes®" », est « un fonctionnaire de la région qui veut changer de vie et a vite pensé à Lourdes quand il a réfléchi à une activité rémunératrice. » S'étant « assuré que les marques en question n'étaient pas déposées », il « s'est tourné vers un fabricant du coin pour produire sa ligne de soins, avec "95% de produits naturels locaux et 5% d'eau de Lourdes". »

Cependant, depuis 2009, il n'a réalisé que 300 euros de chiffre d'affaires, dit-il, et il ne lui a pas fallu plus d'un litre d'eau. D'ailleurs, il est en rupture de stock et cherche à relancer sa petite entreprise.

On comprend que la réussite éclatante de ce « marchand du Temple » puisse tant « irriter les Sanctuaires », et même que cette irritation puisse s'étendre au Saint-Siège, mais il faut rassurer ce bon monsieur Denis D. : la relative notoriété acquise récemment par « sa petite entreprise » va très certainement lui permettre de la « relancer »... Un don, discret et judicieux, pourrait apaiser les démangeaisons passagères des irritables « Sanctuaires ».

Et pour le reste, tous les commerçants de Lourdes lui diront qu'il y a toujours eu de la place pour tout le monde dans le marigot de la crédulité.

dimanche 18 novembre 2012

Une espèce de robin

Délicat et pudique blason d'un corps féminin, brodé de références disparates, Bécassine est pour moi l'une des plus belles chansons de Georges Brassens.

Il l'a enregistrée sur son douzième album, Misogynie à part, paru en 1969 :


On dit, et il ne me déplait pas de le croire, que Brassens a écrit cette chanson en hommage à son ami et compagnon en anarchie, le poète Armand Robin.

Armand Robin à 17 ans, au pied de son arbre.
(Photo-montage Liber-Terre, 2002)
(Illustration empruntée à un article de Roger Dadoun :
Armand Robin, anarchiste de la grâce, Réfractions, 2005.)

Armand Robin était né en 1912, quelques années après la Bécassine de Joseph Pinchon, sur le territoire de la commune de Plouguernevel - Côtes-d'Armor - au cœur de ce que l'on appelle parfois le « bastion communiste breton ». Il était le huitième et dernier enfant d'une famille de paysans pauvres où l'on ne parlait que le breton. C'est à l'école qu'il apprit le français, qu'il présentait comme sa deuxième langue - il devait, par la suite, en apprendre et pratiquer plus de vingt autres. On raconte, et cela aussi j'aime le croire, que le gamin piégeait des taupes dont il vendait les peaux pour s'acheter des livres qu'il lisait en cachette dans les arbres...

Après avoir obtenu son titre de bachelier en 1929, il fut admis en classe de Première Supérieure au lycée Lakanal à Sceaux, alors connu pour être le « lycée des boursiers ». Il y eut notamment pour professeur Jean Guéhenno, avec qui continuera de correspondre dans les années suivantes. S'il ne fut pas reçu au concours d'entrée de l’École Normale Supérieure, il obtint de pouvoir continuer ses études en province - il s'inscrira à Lyon, où il abordera l'étude de la langue russe.

En 1933, année de la mort de sa mère, alors qu'il vivotait à Paris en donnant des cours ici ou là, il obtint une bourse du gouvernement polonais pour effectuer un séjour de trois mois en Pologne. Cette bourse était destinée à un licencié de lettres français parlant polonais, et, pour la décrocher, il réussit à apprendre la langue en urgence. De Pologne, il réussit à passer en U.R.S.S. et, durant l'été, à participer aux travaux de la moisson dans un kolkhoze. Il rentra en France avant la fin de l'année, désargenté et surtout désenchanté.

Ce n'est que deux ans plus tard, dans une lettre adressée à Jean Guéhenno, qu'il put écrire :

J'y suis allé ; j'ai mis bien longtemps à en revenir.

Et, se débattant avec lui-même, il s'expliqua enfin :

Cher Guéhenno, j'ai pu me mentir ; j'ai voulu me persuader que j'avais mal vu, mal entendu ; pour me permettre d'espérer encore, je me suis, en bon intellectuel, inventé des prétextes : « Comment aurais-tu le droit de juger une aussi grosse portion de l'histoire de l'humanité ? » - Écoutez, je dois avoir l'esprit malhonnête, vraiment ; j'aurais dû m'avouer mes impressions vraies : « Ce que tu as vu, c'est la famine, ce sont des paysans qui depuis 18 mois n'ont jamais mangé ni viande, ni pain ; - ce que tu as vu, c'est un peuple à bout de souffle, un peuple mort ; souviens-toi de ces visages d'affamés, de ces regards éteints ; - ce que tu as vu, ce sont des hommes qui à force de souffrir bêtement ont perdu jusqu'au sentiment de la souffrance, le plus précieux de tous. - Ce que tu as vu ce sont des consciences traquées, des âmes sans espoir, épouvantées des horreurs qu'elles ont traversées ; - ce que tu as vu, c'est une jeunesse abrutie, persuadée que les Soviets ont inventé l'électricité et de bien autres choses. - Ce que tu as entendu, c'est : presque le tiers de la population mort de faim en Ukraine dans l'hiver 1931-1932 ; des villages cernés et bombardés ; la famine sur les bords de la Volga, le brigandage dans la région de Kazan ; l'épidémie de typhus, crainte partout et faisant d'innombrables victimes, mais tue par ordre du gouvernement ; les paysans morts dans les rues de Kiev et de Moscou qu'ils avaient envahis, etc... - Ce que tu as aperçu ce fut un cauchemar, ce fut un monde dans lequel tout sens de la dignité humaine est mort, traqué ».

Du désarroi exprimé dans cette lettre, devait naître l'anti-stalinisme virulent d'Armand Robin, qui se traduira par sa rupture complète avec les intellectuels communistes et par son adhésion au Front Libertaire - où il rencontra Brassens.

Mais cela est une autre histoire...

Je m'arrête à l'image du jeune homme qui se tient ici au bord du désespoir. Il me semble que je comprends, chez cet « espèce de robin, n'ayant pas l'ombre d'un lopin », le sentiment très puissant qui le guide, celui d'appartenir de tout son être au monde de ces paysans pauvres, déconsidérés et opprimés, affamés et abrutis, que le communisme a trahis.

C'est à cet époque de sa vie qu'Armand Robin commence l'écriture de ce texte magnifique et inclassable qu'est Le temps qu'il fait. On parle, faute de mieux, d'épopée, on pourrait parler, toujours faute de mieux, d'oratorio... Composé de vers et de prose, c'est un monument baroque élevé à la mémoire de la lutte contre la misère et pour la dignité, menée des siens, les rustres de Basse Bretagne. La première partie, écrite en septembre 1935, sera publiée dans la revue Europe en 1936. L'ouvrage sera complété durant l'été 1941 et sortira chez Gallimard l'année suivante.

A la mort d'Armand Robin, en 1961, ses amis Claude Roland-Manuel et Georges Lambrichs eurent tout juste le temps de sauver de la décharge trois valises de manuscrits divers. Une partie d'entre eux,  poèmes et fragments, devait être publiée, en 1968, chez Gallimard, sous le titre Le monde d'une voix.

Parmi eux, ces trois hommages aux siens :


O MIENS SI OBSCURS ... 

O miens si obscurs, pour me garder près de vous il me faudrait pendant toute ma vie le moins de mots possible et chaque jour, malgré ma nouvelle existence, une retraite près des plantes, une main passée dans la crinière des chevaux. Pour rester près de vous malgré moi, malgré ma vie, j'ai vécu toutes mes nuits dans les songes et, le jour, je me suis à peine réveillé pour subir une vie où je n'étais plus.



Cessez d'accepter un monde                                                                   
 où les riches et les puissants                                                                   
aient droit de disposer de l'art !                                                              

                     LETTRE A MON PÈRE

            Mon père, je vois bien que je me suis trompé 
            En voulant devenir un poète, un lettré ; 
            Je n'ai réussi qu'à me fatiguer 
            Et qu'à tournicoter, tout brouillé. 

            Je suis allé plus loin qu'à nous il n'est permis ; 
            On m'accable de haine et de raillerie ; 
            Où je suis né j'aurais dû rester, 
            Tous ont eu raison de me châtier. 

             ...................................................................

             Aujourd'hui si tu venais tu me retrouverais 
             Comme cette faux que tu as laissée 
             Hier soir dans des herbes obscures et se souvient très frais 
             D'avoir sous tes doigts travaillé.



         PRIÈRE 

Mère, qui fus si sainte dans ta simple vie 
De bruyère ignorée, 
J'ai besoin que tes doigts harassés, mais vaillants, 
Me montrent le Christ, 
Ce bon seigneur qui fleurissait sur les vitraux. 

Mère, si le Christ existe, tu es près de lui, 
Là-haut sur ce ciel courbe, 
Tu te penches près de lui comme un trèfle. 

S'il existe, dis-lui 
Que ton fils dans un enfer mène sa vie, 
Qu'il a besoin de passer humblement près de lui. 


Dis-lui 
Que je voulais n'avoir pas besoin de lui.


PS : Références.

La lettre à Guéhenno se trouve dans  Le combat libertaire, textes d'Armand Robin réunis par Jean Bescond, chez Jean-Paul Rocher, éditeur, 2009.

Le temps qu'il fait a été réédité en 1986 dans la collection L'imaginaire chez Gallimard.

Le monde d'une voix a été repris, en 2004, à la suite de Ma vie sans moi, dans la collection Poésie / Gallimard.

vendredi 16 novembre 2012

Gazouillis guerriers de Tsahal

L'Armée de défense d'Israël est l'une des rares armées du monde à être, dans la presse, affectueusement désignée par un surnom, une sorte de « nom de guerre », Tsahal. On peut y voir comme un indice de l'ampleur de la popularité acquise par cette formation militaire sur l'ensemble de la planète - à quelques exceptions assez irréductibles près, qu'il convient de signaler en passant et en toute objectivité. Ce capital de sympathie s'enrichit de soutiens médiatiques divers, et tout un chacun peut s'y investir, en apportant sa modeste contribution.

Ne serait-ce qu'en offrant une pizza - une pizza, oui, mais une tsahal-pizza ! - aux « jeunes soldats et soldates » qui « avec une éthique unique au monde, protègent au dépit de leur vie le peuple d'Israël »...


Capture d'écran de la page d'accueil d'un site contributif.
(Paiement sécurisé.)

Depuis peu, le monde entier s'est aperçu que Tsahal était capable de gazouiller.

Si l'on en croit le titre d'un billet du blog Big Browser, hébergé par le quotidien français de référence, « Israël inaugure le suivi en direct de ses opérations militaires », inventant du même coup la « guerre 2.0 » - en majuscules dans le texte.

Bien sûr, les rédactions hexagonales se mirent à frétiller du neurone. A croire que chacun(e) s'y sentait cablé(e) comme un sous-Baudrillard deux-point-zéro... Rapidement on ficela des papiers sur le sujet et, dans la journée d'hier, il en fleurit sur les sites de Rue 89, du Nouvel Observateur, du Figaro et de 20 minutes... J'en ai sûrement oublié, mais je tiens à accorder une mention spéciale à Sébastien Seibt qui, sur le site de France 24, a signé un article posant le seul vrai problème :

Tsahal a-t-elle enfreint les règles de conduite de Twitter ?

Je sens que la question de savoir si l'armée qui possède « une éthique unique au monde » n'aurait pas commis un « éventuel cyber-faux pas » vous taraude autant que moi...

Gaza, 14 novembre 2012.
(Photo : Anne Paq.)

Mercredi, au premier jour de l'attaque sur Gaza, Omar, 11 mois, le fils de Jihad Misharawi, est mort brulé.

Cela n'a rien d'un « éventuel cyber-faux pas », car cela ressemble trop à un crime.

C'est la douleur d'un père portant son fils jusqu'à la morgue qu'Anne Paq a photographiée.

Au soir de ce 14 novembre, elle écrivait sur son blog Chroniques de Palestine :

Gaza est la cible d'attaques de tous les côtés, y compris de la mer. 

 On compte déjà 8 martyrs et des dizaines de blessés, dont certains très graves. 

 Au moment où j'écris maintenant, je suis de retour chez moi. Alors que je faisais la sélection des photos, j'entendais le bruit effrayant des bombes. La rue fut bientôt vide de voitures et il n'y a presque pas de lumière. J'ai bougé loin des fenêtres qui peuvent facilement être brisées si certains explosions arrivent à proximité. Dans l'hôpital Al Shifa, c'était le chaos total avec un flot continu de blessés. 

Quand je suis arrivée à la section où ils traitent les personnes brûlées, certaines femmes se sont effondrées de chagrin, elles venaient d'apprendre qu'Omar Jihad Masharawi, un bébé de 1 an venait de mourir de ses blessures. Une des femmes était sa mère, une autre sa grand-mère. 

Je suis allée le prendre en photo avec d'autres photographes, je ne peux pas décrire ce que j'ai vu avec des mots, et je ne peux non plus publier ces images d'un bébé brûlé. C'est l'horreur la plus totale. 

 Plus tard, le père d'Omar l'a porté jusqu’à la morgue, en pleurant tous les larmes de son cœur, suivi d'une foule en colère. 

(...) 

Je ne peux pas dormir et ne peux pas chasser l'image d'Omar hors de ma tête. Pourquoi Omar devait-il mourir ?

Elle n'a pas touitté cette douleur.

On peut tenter de dire cette horreur, mais pas en 140 caractères.


PS : Pour une vraie réflexion, voir l’indispensable Alain Gresh, Gaza, assassinats et désinformation, dans le Monde diplomatique ; et pour des informations, le point sur la situation du 15/11, et du 16/11 - à suivre, hélas ! -, sur la Plateforme des ONG françaises en Palestine.

mercredi 14 novembre 2012

Violence bocagère

Spécialiste au Figaro des questions dites de sécurité - domaine où il y a moins de questions que de réponses proportionnées -, Christophe Cornevin est un journaliste dont les talents sont bien reconnus dans les services de police, et au ministère de l'Intérieur. La plupart de ses papiers s'abreuvent goulûment aux fameuses « sources proches de l'enquête », qui sont, on le sait, d'une incomparable limpidité. Le changement sans virages que nous connaissons depuis six mois n'a pas, semble-t-il, rendues caduques les précieuses entrées de son carnet d'adresses...

C'est lui qui signait, hier matin, une « info Le Figaro » - je vous épargne toutes les majuscules - qui devait, avec des accommodements divers, faire le tour de la presse. Si l'on se fie à l'adresse complète de cet article - http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/11/13/01016-20121113ARTFIG00342-notre-dame-des-landes-un-vigile-brule-dans-la-nuit.php -, le titre initial a dû être modifié... On trouve maintenant :

Notre-Dame des Landes : un vigile blessé dans la nuit.

Et l'on peut lire :

Un vigile a été grièvement blessé dans la nuit de lundi à mardi alors que ce dernier surveillait un ancien squat évacué par décision de la justice sur la commune de Fay de Bretagne (Loire-Atlantique), sur une zone de délaissement où située à proximité de l'endroit où devrait s'installer le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Vers 3 h 30, l'agent de gardiennage a été pris pour cible par une vingtaine d'inconnus cagoulés et armés de gourdins alors qu'il était posté, au volant de sa voiture, devant une maison récemment évacuée. Les agresseurs ont aspergé son véhicule de produit inflammable. « Ils ont discuté pour savoir s'ils le laissaient dedans avant de finalement le sortir et le rouer de coups », a précisé Michaël Doré, sous-préfet de la région Pays de la Loire. Le vigile est parvenu à s'enfuir, pieds nus, tandis que les inconnus ont incendié son véhicule.

La victime a été blessée aux mains et aux avant-bras et a été admise aux urgences du centre hospitalier de Nantes où elle s'est vue délivrer 5 jours d'ITT.

Les agresseurs ont pris la fuite avant l'arrivée du Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig). L'enquête a été confiée à la Compagnie de Chateaubriand.

Notre journaliste allonge sa brève par une mise en perspective très professionnelle. Il rappelle que le projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes « est au cœur de vives polémiques et de violentes manifestations », quoique « porté par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes », et souligne qu'« environ 500 personnes selon la police, 3.000 à 3.500 selon les organisateurs, se sont encore rassemblées samedi dernier à Rennes contre ce projet » - j'aime beaucoup cet « encore » !

Pris par l'urgence rédactionnelle - il a mal relu et laissé traîner un « » malencontreux dans son premier paragraphe -, Christophe Cornevin n'a pas eu le temps de prendre contact avec les opposants au grand projet du Grand Ouest. Il est d'ailleurs fort probable qu'ils ne figurent pas sur son carnet d'adresses. Aussi, pour faire bonne mesure journalistique, cite-t-il, un peu hors-sujet, une déclaration de monsieur Jean-Luc Mélenchon datant du samedi précédent - le samedi où il avait « encore » du monde dans la rue...

Cette garantie d'objectivité lui permet de conclure en ouvrant de nouvelles perspectives : 

Dès le 7 novembre dernier, six gendarmes ont été blessés sur le site dans des heurts avec des opposants au projet, selon un bilan de la préfecture de Loire-Atlantique. Les forces de l'ordre, qui intervenaient pour libérer une route des barricades qui y avaient été érigées, ont été attaquées par une « quarantaine d'assaillants particulièrement résolus ». Ils utilisaient « des bouteilles incendiaires, des frondes et des projectiles métalliques ».

La dépêche de l'AFP, qui devait paraître ensuite, et que j'ai trouvée sur Libération, amende sur quelques points essentiels le récit de Christophe Cornevin, preuve qu'il n'était pas vraiment en forme, ou que son informateur matinal n'était pas si bien informé que cela. J'ai pu noter, par exemple, qu'il n'avait pas parlé du bilinguisme affiché par les agresseurs, élément qui permet pourtant de consolider la fiction préfectorale d'une « minorité autonome, venue d’ailleurs, qui entretient l’insécurité sur le secteur de Notre-Dame des Landes »...

Car si l'enquête ne fait que débuter, les coupables sont déjà désignés.

Libération a cru bon de titrer son copicollage de dépêche AFP :

Notre-Dame-des-Landes : un agent de sécurité blessé par des opposants

Et ce matin, au cours du journal de Mickaël Thébault, j'ai entendu parler d'une « agression dont les responsables sont connus, disent les enquêteurs, une dizaine de militants anti-aéroport français et britanniques »...

Malgré sa médiocre qualité, cette image spectrale a été choisie 
pour dramatiser un article de Presse Océan.
(Photo : Conseil général de Loire-Atlantique.)

Aucun des médias que j'ai consultés n'a jugé bon de citer, même partiellement, le communiqué de presse des zadistes, mis en ligne dans la journée d'hier :

Nous apprenons aujourd’hui par la presse qu’un vigile aurait été agressé dans la nuit du 12 au 13 novembre par un groupe d’une vingtaine de personnes, devant le lieu-dit la Pointe. Parce que ce lieu était récemment encore occupé et qu’il a été muré depuis le début de la vague d’expulsions le mardi 16 octobre, la Préfecture s’est empressée de dénoncer une action des opposants. Elle en a profité pour ressortir son sempiternel discours de dissociation entre opposants historiques et nouveaux venus présumés violents.

Nous voulons rappeler que sur le terrain cette dissociation n’existe pas et que c’est toutes et tous ensemble que nous luttons contre ce projet d’aéroport. Nous voulons également rappeler que jusqu’ici toutes les actions de solidarité effectuées en lien avec la lutte de la ZAD ont été revendiquées. Ça n’a pas été le cas pour l’action de cette nuit. Pour nous il est donc impossible de nous prononcer dessus en l’état.

L’hypothèse d’une manipulation est pour nous envisageable, cette action tombant parfaitement pour détourner l’attention de ce qui reste l’essentiel : la préparation de la manifestation de ré-occupation du 17 novembre, et d’une manière générale l’amplification de la lutte contre le projet d’aéroport.

Je n'ai pas non plus trouvé la moindre amorce de réflexion sur la nature même de cette agression. Car, à moins de souscrire béatement aux interprétations des autorités, on peut se demander comment une telle action peut s'inscrire de manière cohérente dans la lutte menée jusqu'à présent par les opposants au grand projet d'aéroport inutile. Mon imagination, sur ce point, déclare forfait. En effet, il est assez clair, et cela depuis le début, que la logique zadiste conduit les résistant(e)s du bocage à s'installer, et bientôt se ré-installer, à construire, et bientôt reconstruire, dans les lieux promis au bétonnage et au bitumage afin de s'y opposer. Si leur attention s'était portée sur cette maison que le Conseil général de Loire-Atlantique a acquise pour la faire murer, il semble que cela aurait été pour la ré-ouvrir et la faire revivre - ce qui peut, à l'évidence, se faire sans démolir physiquement le vigile chargé de garder l'endroit.  

Comme la photo ci-dessus - le Conseil général devrait songer à former ses personnels aux arts de l'image -, les contours de cette affaire restent tout à fait flous. Je ne possède malheureusement pas de moyens d'éclairage suffisants pour dire s'il s'agit là d'un montage provocateur de quelques-uns ou d'un dérapage incontrôlable de quelques autres...

Ce flou a opportunément permis à la manipulation médiatique de se développer, attribuant la responsabilité de cette agression à tout un mouvement qui dérange, tout en en construisant une image détestable.

Monsieur Jean-Marc Ayrault a, aujourd'hui, profité d'une question posée au cours d'une conférence de presse donnée conjointement avec monsieur Nick Clegg, numéro deux du gouvernement britannique, pour confirmer la ligne d'interprétation générale :

Il est absolument inadmissible (...) que des forces ultra-minoritaires et violentes venues parfois de différents pays d'Europe s'opposent à un choix légal et parfaitement démocratique.

(On ne dit pas s'il s'exprimait en anglais...)

Plus pragmatique, monsieur Jacques Auxiette s'attache à montrer que le monde des opposant(e)s à l'aéroport est infréquentable, et il s'adresse fermement à ses pairs, les « responsables politiques » :

Nous basculons aujourd’hui dans une violence criminelle d’activistes radicaux et nous vivons une escalade intolérable, rendue possible par la caution apportée par des responsables politiques. En soutenant et en annonçant leur présence sur place, aux côtés des éléments les plus radicaux, ils laissent le champ libre à de tels agissements.

N'importe, pour la manifestation de ré-occupation, samedi prochain, Dominique Fresneau, que la presse présente comme un des « opposants historiques », a indiqué qu'il espérait plus de 10 000 personnes...

On comptera peut-être, parmi tous ces gens qui manifesteront « encore », quelques « responsables politiques ».

Sinon, on se consolera avec de vrai(e)s clowns amateur(e)s bourré(e)s de talents, qui se sont entraîné(e)s ce matin, et continueront demain et après-demain...

Par ailleurs, l'ACAB - Armée des Clowns Agités du Bocage - All Clowns Are Bastards - a adressé cet  

Ultimatum aux grands cons de ce monde  

Chers dictateurs refoulés, 
continuez à assouvir vos caprices, 
à épancher votre mégalomanie destructrice, 
piétinez les fleurs, les légumes, coupez les arbres, 
chassez les oiseaux, couvrez l’horizon de béton, persécutez la vie
 …et… 
cette petite merveille 
qui vous a donné la grâce d’exister
 s’autodétruira sous votre nez ! 

En octobre, le premier sinistre climatique a frappé Notre Drame des Glandes ; le cyclone Jean Marc Ayrault a balayé une 20aine d’habitations et fait tomber beaucoup d’arbres. Dans le sillage de la tempête, les vitres de nombreuses permanences PS ont volé en éclats. Nous tenons à témoigner toute notre solidarité à ces réfugiés politiques qui devront passer l’hiver dans les courants d’air ! N’oublions pas d’exprimer également notre reconnaissance aux socio-collabos d’EELVMH que la valeureuse imposture a propulsé.e.s au cœur de la tourmente parlementaire. Heureusement les velours de l’assemblée devraient les habiller pour l’hiver. Quel dévouement, quel sens du sacrifice ! Leur gloire sera de plus courte durée que le cataclysme capitaliste sur lequel illes surfent. Mais assez de discours, on est pas de la politicaille ! On a une vraie vie … à reconstruire ! Et pour recycler les élites parasites de la république, on a peut-être des vrais boulots enfin utiles à quelque chose… Les chefs de toutes espèces, serviront d’épouvantails à la poulaille ! Les autres on en fera des barricades. Et les écolos, vous aurez même le droit de toucher la terre pour de vrai ! (si vous ramenez vos petits drapeaux on a prévu des jeux rigolos !) Par contre étant donné le comportement déplorable de votre flicaille, vous leur direz qu’ils ne sont pas invités ni même autorisés à s’exhiber dans le paysage ! A moins qu’éventuellement certains d’entre eux se défroquent et créent un groupe affinitaire naturiste. Pour celles et ceux qui veulent planter des clous, des choux, jongler avec des cailloux, partager quelques bouffées de liberté, construire des cabanes, devenir cultivateureuses d’horizon…c’est par là que ça se passe !

Mode d’emploi pour construire une ZAD : D’abord il faut bien choisir la terre pour que ça prenne ; de préférence un beau bocage avec des forêts et un projet à la con qui plane au-dessus. Plein de fumiers costumés qui veulent tout améliorer avec leur engrais au progrès. Ajoutez un système capitaliste mort vivant qui vous propose une place de zombie en échange de votre vie. Pour que ça pousse bien : mélangez un brin d’espoir, de la sueur, de la joie, de l’amour et pour finir quelques pleurs de rage lacrymogènes … et recommencez !

C'est violent, non ?

mardi 13 novembre 2012

Le docteur qui répare les femmes

Dans un billet de son blog, la journaliste Colette Braeckman écrit que monsieur Laurent Kabila, président de la République démocratique du Congo a plusieurs fois visité l'hôpital de Panzi, à Bukavu, qu'il a honoré certains services, notamment la maternité, de ses dons privés, mais qu'il a toujours refusé de se rendre dans la partie de l'établissement où sont accueillies et soignées les femmes victimes de violences sexuelles.

Ce service est dirigé par le docteur Denis Mukwege, « l'homme qui répare les femmes » (*).

Né en 1955, Denis Mukwege a trouvé sa voie dans la médecine, dont il a commencé l'étude en 1976 au Burundi. Tout juste diplômé, il a fait ses débuts à l'hôpital de Lémera, au sud de Bukavu. Peu de temps après, l'attribution d'une bourse d'étude lui a permis d'aller au CHU d'Angers pour se spécialiser en gynécologie. En 1989, malgré les propositions qui lui étaient faites de s'établir en France, il a choisi de rentrer au pays pour occuper le poste de directeur de l'hôpital de Lémera. Il échappa de peu aux tueries de la première guerre de libération : en 1996, l'établissement est détruit, personnels et patients massacrés. Il se réfugia un temps au Kenya, mais finalement revint à Bukavu pour fonder l'hôpital de Panzi avec le soutien d'un organisme caritatif suédois.

En regardant la vidéo suivante, on peut se faire une idée de ce qui a été a mis en place à Panzi, où il faut accueillir ces femmes blessées, victimes de viols, et leurs enfants - car la plupart n'ont plus de familles, ou sont rejetées par elles - et soigner le mieux possible les séquelles physiologiques des violences qui leur ont été infligées... Il s'agit essentiellement de fistules vaginales et/ou anales qu'il faut réduire par intervention chirurgicale. Denis Mukwege a perfectionné les techniques opératoires dans ce domaine, où il est désormais reconnu comme l'un des meilleurs praticiens.

Le documentaire dont sont extraites ces images, Bukavu, a été réalisé par Maud-Salomé Ekila pour l’École Européenne de Chirurgie Laparoscopique. La caméra ne s'arrête donc pas à la porte de la salle d'opération et filme aussi les grands gestes qui réparent.

Ces gestes sont beaux ; l'insoutenable, c'était avant.


Très tôt, le docteur Mukwege a su qu'il ne suffisait pas de recoudre inlassablement ce que d'autres avaient déchiré. Il fallait aussi se faire entendre et dénoncer la pratique du viol en masse et son utilisation comme arme de guerre, cette stratégie de la terreur qui vise à « démoraliser, humilier et finalement soumettre une population », mise en œuvre tant par les bandes rebelles que par l'armée régulière. Par son action, il a fini par acquérir une certaine notoriété et de nombreux prix lui ont été attribués - prix Olof Palme, prix des droits de l'homme des Nations unies,  prix des droits de l’Homme de la République française, prix Van Goedart , prix Jean Rey, prix de la Fondation Roi Baudoin... Cette relative renommée amplifie sa voix qui tente de réveiller les instances internationales singulièrement somnolentes.

Le 25 septembre dernier, il a prononcé devant l'assemblée générale des Nations Unies un discours où il dénonçait, une fois de plus, « le silence assourdissant et le manque de courage de la Communauté internationale » face à « une guerre injuste qui a utilisé la violence et le viol des femmes comme une stratégie de guerre » et appelait à « une action urgente pour arrêter les responsables de ces crimes contre l’humanité et les traduire devant la justice ». Il a tenu ces propos sans les accompagner de ronds de jambe diplomatiques, récusant « la formule habituelle : "j’ai l’honneur et le privilège de prendre la parole devant vous" » :

Non ! Je n’ai ni l’honneur ni le privilège d’être ici en ce jour. Mon cœur est lourd.

Mon honneur, c’est d’accompagner ces femmes courageuses et victimes de tant de violences ; ces femmes qui résistent, ces femmes qui, malgré tout, restent debout.

Le docteur Denis Mukwege peut déplaire, et principalement à tous ceux qui ont un quelconque intérêt à instaurer et maintenir dans la région ce qu'ils envisagent peut-être comme un simple et profitable « équilibre de la terreur » - heureuse expression, n'est-ce pas ?

Alors qu'il rentrait chez lui, à Bukavu, après avoir raccompagné des visiteurs, au début de la soirée du 25 octobre, il a été l'objet d'une tentative d'assassinat. Cinq hommes en civil, mais équipés d'armes de guerre, l'attendaient. Ils ont tué, à bout portant, la « sentinelle » de sa « parcelle » qui tentait de l'avertir ou d'ameuter le quartier, et tiré dans sa direction avant de s'enfuir avec son véhicule, qu'ils ont abandonné et brûlé plus loin.

Le lendemain, les autorités congolaises envoyaient deux policiers pour protéger son domicile et ouvraient une enquête...

Peut-être plus affecté qu'il ne le dira jamais par cette agression, le docteur Denis Mukwege s'est réfugié en Europe, où il continue son combat, notamment auprès des instances européennes.

Mais il sait qu'à Bukavu des femmes déchirées l'attendent.


(*) Cette expression, un peu brutale, reprend le titre de l'ouvrage que Colette Braeckman a consacré au combat de Denis Mukwege. Il vient de paraître chez André Versailles, qui l'a édité en partenariat avec le GRIP - Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité.